Le téléphérique : quels impacts, quels effets socioéconomiques à La Paz et El Alto ?
Lorsque le transport par câble "Mi Teleferico" dans la ville de La Paz a été mis en œuvre, un important débat social a surgi entre les syndicats de chauffeurs de transport public traditionnel, comme les chauffeurs de taxi, minibus, trufis, micros et legouvernement national, acteur majeur dans la conception et le financement des travaux.
En Juillet 2012, le président de l'État plurinational, Evo Morales, a présenté le projet de construction du système de transport par câble. Le rejet par la Fédération Départementale des chauffeurs a été immédiat. Quelques jours après l'approbation par le Congrès National de la résolution pour la construction de trois lignes de téléphérique et la création de la société de gestion "Mi Teleferico", les chauffeurs ont annoncé des mesures pour faire pression sur le gouvernement. La Fédération Départementale des chauffeurs a mobilisé ses syndiqués pour des marches, des manifestations, des grèves de la faim, des blocus et des arrêts de travail d'une certaine ampleur dans les villes de La Paz et El Alto pour exprimer leur désaccord avec la construction du téléphérique. Julian Manzaneda, leader des transporteurs a déclaré: «L'installation de ces lignes affectera gravement ce secteur, car elles permettront de réduire le flux de passagers" Manzaneda a donc demandé au gouvernement de dialoguer. Les chauffeurs ont déclaré que le projet du gouvernement va causer la perte de leur emploi, et ce sera un préjudice économique pour ce secteur social.
La Fédération Départementale des chauffeurs de La Paz compte plus de 150 000 membres d’après ses dirigeants, répartis entre syndicats des transports des différentes parties de la ville. Ce secteur, avec à sa tête le président Ismael Fernandez, a dénoncé le 11 Janvier 2014 que la mise en œuvre du Téléphérique, aurait une incidence sur 60% de ses membres qui devraient être relocalisés dans le transport interprovincial, puisque dans l'espace urbain la ville de La Paz, les possibilités d'emploi seraient plus faibles à cause de la mise en œuvre du système par câble qui aidera les utilisateurs à passer moins de temps dans les transports publics.
En Octobre 2014, le gouvernement national et la société «Mi Teleferico" ont annoncé à la population la construction de 5 nouvelles lignes de téléphérique pour compléter les 3 lignes déjà construites entre 2013 et 2014. La Fédération Départementale des chauffeurs, a exigé immédiatement à l'État le transfert de 50% des actions de « Mi Teleferico» aux mains de cette fédération. Ils ont argumenté que la demande était une juste rétribution et indemnisation des pertes économiques causées par le téléphérique. Suite à ces demandes, le vice-président de l'État plurinational de Bolivie, Alvaro Garcia, a rejeté cette possibilité, en disant: "Le Téléphérique est un patrimoine de tous les Boliviens, et sera toujours dans les mains de l'Etat ». Après cette déclaration du par le vice-président, la situation entre le secteur des transports et le gouvernement national s’est calmé, néanmoins la tension reste permanente.
En Février 2015, le ministre des Travaux Publics Milton Claros a ouvert le dialogue avec les chauffeurs, où il signale que toute sorte de compensation pour le secteur des transports a été rejeté, de même ils ont discuté des questions d'intérêt pour les chauffeurs concernant la construction de la deuxième phase du téléphérique et l'ajustement possible du péage entre La Paz et El Alto.
Le 11 Décembre 2014, le président de l'État plurinational, Evo Morales, a inauguré la ligne verte, pour achever la construction de la première phase du transport par câble. La ligne verte relie Obrajes avec Irpavi dans la zone sud de la ville, cette même ligne est connectée avec la ligne jaune qui relie Ciudad Satellite au niveau d’El Alto. Peu de temps après l'ouverture de cette ligne, il y eut une arrivée importante de résidents d’habitants d’El Alto dans les espaces sociaux habituels de la zone sud de la ville, en particulier le centre commercial « Mega Center ». Ce fait a conduit à des tensions sociales, puisque dans des espaces sociaux couramment utilisés par les gens de la Zone Sud, sont arrivés des gens venus de El Alto, avec lesquels il y a très peu d'interactions sociales quotidiennes, et de méfiances socioéconomiques et culturelles.
Du fait de l'arrivée des citoyens d’El Alto à la Zone Sud de La Paz, un quartier traditionnellement caractérisé par des maisons des catégories de revenus plus élevés de la ville de La Paz il y a eu des réactions de rejet de plusieurs des habitants. Dans les réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram, des photos ont été publiées dans les groupes et les pages où on aperçoit des cholitas et des hommes assis sur le sol en train de manger; on aperçoit également des individus assis et couchés sur les jardins environnants; ainsi on observe des vendeurs de rue en dehors du «Mega Center » , et même des photos d'ordures se trouvant partout, critiquant simultanément l'afflux massif de personnes d’El Alto, considérées comme responsables de cette dégradation de l'espace public.
Ces réactions furent très critiquées par le vice-ministre de décolonisation, Felix Cardenas, qui a qualifié ces actions de racistes et a appelé au respect des populations indigènes, fondé sur la loi 045 du Code pénal, qui se condamne: "la discrimination de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur le sexe, la couleur, l'âge, l'orientation sexuelle et l'identité de genre, l'origine, la culture, la nationalité et d'autres qui visent à mettre fin à l'exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales".
En signe de protestation suite à ces réactions, Sara Jauregui, résidente de la Zone Sud a organisé un "Mega Apthapi" qui est défini comme un repas communal, où il n'y a pas de menu préétabli et où tous apportent quelque chose à manger. Sara Jauregui a déclaré que cette protestation est organisée pour «célébrer nos différences et nos similitudes, sans distinction de race, de statut ou de quartier". Cette action a eu lieu le 18 Janvier dans les espaces du « Mega center ». Cette protestation a révélé que tous les habitants de la Zone Sud n’ont pas montré leur rejet de l'arrivée des habitants de la ville voisine. De nombreux secteurs de la population de la zone sud ont été très ouverts à partager les espaces sociaux avec les différents groupes sociaux, ils ont mis en valeur l'interaction des différentes classes sociales et le mélange de nombreux groupes culturels, en comprenant que cela favorise la cohésion de la société
Le cinéma « Mega center », s’est montré également ouvert face à l'arrivée de la population d’El Alto à ses cinémas. Son directeur, Juan Patiño, a lancé une campagne de sensibilisation sur la façon de prendre soin des environnements du cinéma. Il a également affiché des panneaux faisant référence à la loi 045. Le « Mega Center » a également mis en place un bus qui amène les gens gratuitement à partir de la station du téléphérique jusqu'aux installations du « Mega Center ». Juan Patiño a déclaré: "Nous sommes heureux d'élargir les marchés et d'atteindre plus de gens, nous avons une politique de respect mutuel, nous sommes contre la discrimination et le racisme, tous les gens ont le droit de jouir d'une infrastructure comme la nôtre." La logique économique posée dans les déclarations du directeur du « Mega center » montre que pour cette société il est important d’augmenter le nombre de ses clients, indépendamment du groupe social auquel ils appartiennent. Cette position a été clairement opposée à des réactions de rejet social et aux attitudes discriminatoires de certains secteurs du sud de la ville.
Il est clair que le processus d'interaction et d'intégration des habitants d’El Alto et de la zone Sud de la Paz sera lent, puisque cela reflète les tensions ainsi que la discrimination historique entre l'élite et les secteurs d’origine indigène. Le changement de mentalité des groupes sociaux, est l'un des processus plus lents que connait la sociologie. Dans un pays comme le nôtre où, pendant des siècles, dès la période coloniale la différenciation entre les groupes humains en particulier sur la différence ethnique et la progéniture de la famille, ce processus est lent. Si nous regardons la longue histoire du pays, tout au long du XIXe siècle et du XXe siècle, bien que politiquement ce territoire ne soit plus une colonie, les structures sociales ont continué à être profondément marquées par un type de mentalité coloniale. Cela se voit même dans les règles juridiques et les Constitutions où la progéniture familiale joue un rôle important dans les droits que des Boliviens pourraient arriver à avoir. Probablement le fait historique le plus important pour briser ces structures, à été la Révolution nationale de 1952 qui a étendu la citoyenneté à de nombreuses personnes, des femmes et des populations autochtones. Nous pouvons apercevoir que dans ce court laps de temps, les avancées sociales d’intégration des nouveaux groupes sociaux furent importantes, ces avancées sociales vont continuer non sans rivalités et conflits, et peut être des reculs temporaires dans les années à venir.